L'évolution de la théologie depuis la Renaissance
Pour explorer ce thème, nous le visualisons d'une part avec une croix, représentant à la fois le christianisme et la théologie et d'autre part avec la parabole du marécage et du « bétonnage » des espaces de vie.
La Renaissance et l'invention de l'imprimerie à caractères métalliques mobiles a donné le coup d'envoi à la marginalisation de la culture, très matinée d'oralité, héritée du Moyen-Âge.
Calvin a carrément liquidé la majorité des activités religieuses liées à l'émotion. Il n'a gardé de l'oralité que la prédication, mais qui était, en fait, une analyse du texte biblique. À l'époque la lecture n'était de loin pas généralisée. Pourtant, lorsque le réformateur demandait que les gens s'assoient dans les bancs, en croisant les bras, pour juste écouter un sermon, les croyants étaient soulagés: plus besoin de génuflexions, de signes de croix sur la poitrine, de marcher sur les chemins de pèlerinages, de réciter le rosaire, etc... On dit que les zurichois, qui ont adhéré à la réforme zwinglienne ont aussi apprécié l'économie financière avec la suppression des cierges à brûler.
Calvin était un juriste de formation et il a asséché le « marécage » de la spiritualité émotionnelle du Moyen-Âge. C'était certes nécessaire de couper ainsi drastiquement ces expériences religieuses. Le marécage, qui est un biotope extraordinaire, ne permet pas de construire des édifices en dur. Les réformateurs ont d'abord dû drainer les marais, mais au lieu de préserver ces biotopes, comme on le fait aujourd'hui, on a préféré « bétonner » la spiritualité. Et les disciples des Calvin sont restés, avant tout des « bétonneurs » de spiritualité. On pourrait dire qu'en spiritualité on a les mêmes problèmes qu'en politique, dans le culturel ou en économie, d'autant plus que les déséquilibres engendrés par ces changements culturels sont le fruit de l'utilisation de leviers technologiques très puissants. Ce qui ne veut absolument pas dire, qu'il n'y avait rien de bon dans cette culture de l'écrit et des imprimeurs.
Aujourd'hui ce « biotope » se recrée largement avec la culture numérique dont les leviers technologiques sont encore plus puissants que ceux de l'imprimerie. Le système scolaire est remplacé par les studios de télévision, par les réseaux comme Facebook, Instagram, TikTok, Youtube et bientôt par le métaverse.
Il se produit le même phénomène que du temps de Calvin, la nouvelle culture élimine ou fragilise l'ancienne. La vie dans le monde des « marais » culturels d'aujourd'hui, n'est pas moins prolifique, ni plus abêtissante, elle est juste différente. Et surtout, pour la majorité de la jeune génération, elle est plus passionnante que de s'assoir sur les bancs de la cathédrale de Genève, à écouter un Calvin académicien.
Fin de clap pour la théologie académique? Si elle ne sort pas de l'académie pour se réinventer, comme Luther est sorti du monastère, elle sera engloutie par le marécage ou en tout cas marginalisée. Sortir, ne veut pas dire ne plus réfléchir, analyser, comprendre, c'est le faire les pieds dans le marécage. Dans celui-ci on ne survit pas parce qu'on a un diplôme, mais parce qu'on a acquis l'expérience de la vie dans les marais.
Ce que je constate, c'est que le théologien académique survole la réalité actuelle. Il sait la décrire, la décortiquer, comme l'anthropologue et ethnologue Lévi-Strauss qui avait une connaissance très pointue du fonctionnement de certaines tribus brésiliennes, mais sans jamais reproduire leur style de vie à Paris. Ce n'est pas pour rien que certaines facultés de théologie protestante s'orientent vers les sciences des religions. Ce sont des théologiens à dominante sociologique et historique, mais qui ont peu à dire sur la manière de développer une nouvelle spiritualité dans les « marais ». Le pire, c'est un théologien qui prônait qu'il fallait surtout expliquer le vocabulaire chrétien utilisé dans les ensembles bétonnés aux habitants du « marais ».